La Suisse à vélo :
un défi d’endurance au cœur des Alpes

 

261 kilomètres. 3 580 mètres de dénivelé positif. Un itinéraire où le corps s’adapte, le mental se renforce, et chaque montée rappelle que le vélo est autant une question de puissance que de patience.

De Montreux à Lucerne, j’ai traversé la Suisse en mode sport-aventure : cadence régulière, gestion de l’effort, plaisir du mouvement et précision du geste. Montées progressives, cols exigeants, relances, récupérations actives : une traversée où chaque étape a sculpté le souffle autant que les jambes.

 

MON MATERIEL

 

J1 : Montreux → Gruyères : Activation : trouver le souffle, installer l’énergie

Le Lac Léman est calme au départ, mais moi, je ne le suis pas vraiment… J’aurais aimé quelques kilomètres tranquilles, un réveil doux pour les jambes, un café en terrasse avant d’attaquer. Mais cette journée ne laisse aucune place à la mise en scène !

Dès la sortie de Montreux, la route se cabre. Pas d’échauffement, pas de transition, juste la pente, brutale, silencieuse, et mes quadriceps encore endormis. Le souffle s’emballe, les jambes brûlent trop tôt. On entre dans l’effort direct !

Contexte Covid oblige, les villages traversés semblent figés. Volets clos, terrasses vides. Pas de café, pas de petit endroit où se poser, seulement nos bidons et nos poudres énergétiques. Efficaces, oui. Mais pas très convivial ! Ce jour-là, l’effort n’a pas de douceur.

À 14h seulement, on aperçoit un restaurant ouvert. L’assiette de frites et de jambon arrive plus comme un réflexe que comme une stratégie. Trop faim, trop lourd, trop vite… Le ventre se crispe, la digestion se braque. Nous nous retrouvons allongés au bord d’un chemin, à attendre que le corps digère, que le ventre s’en remette.

Et puis, comme souvent sur le vélo, ça revient. Le souffle s’allonge, la cadence se délie, l’effort devient moins effort et plus mouvement. La montagne ne change pas, mais moi, oui. Je me réinstalle dans mon corps, je retrouve ce fil intérieur qui tire, doucement, vers l’avant.

Puis, après, Gruyères surgit. Village suspendu entre tradition et décor de carte postale, pavés anciens, chalets fleuris, odeur de bois et de fromage chaud. Et oui, fondue. Obligatoire, méritée, assumée ! Parce que l’endurance n’est pas qu’une histoire de watts, de VO2 max et de cadence, c’est aussi une histoire de plaisir, de table partagée… et parfois, d’une généreuse dose de fromage pour célébrer le chemin déjà franchi !

Premier jour terminé : rude, imparfait, précieux. L’endurance a commencé. Et moi, je me sens prête pour la suite, parce que j’ai déjà traversé la première résistance.

💡 Comment le corps s’adapte pour transformer ces premières pentes en rythme d’endurance ? Je raconte tout dans L'EPISODE 1

 


 

J2: Gruyères → Gstaad : activer le mode croisière

Face à certains itinéraires, le corps proteste. Ici, il coopère.

Depuis Gruyères, tout semble s’être aligné. Le moteur est lancé, le souffle posé, l’énergie stable. Le départ se fait sans hâte, presque à la suisse. Petit-déjeuner vers 8h, dans le calme de l’air frais de montagne. Et oui, ici encore, du fromage, généreux, fondant, parfait. Une continuité culturelle aussi logique que délicieuse : on est en Suisse, après tout.

On prend le temps de digérer, de laisser le corps se remettre en route naturellement. Pas de précipitation, “y’a pas le feu au lac” : départ vers 9h30, quand tout est en place. Il ne fait pas chaud, l’altitude garde l’air vif.

La route déroule son décor alpestre : chalets sombres, prairies vertes, cloches de vaches comme un métronome naturel. Gstaad apparaît presque en douceur, avec son allure de station alpine chic. Ici, même les chalets semblent avoir un designer attitré et derrière le bois sculpté, souvent une grande marque à l’adresse. Nous logeons en périphérie, loin du cœur brillant, mais assez proches pour rallumer les cuisses et rejoindre le centre à vélo pour le dîner.

Il est 18h, l’heure où la Suisse dîne déjà. On tente une glace. On nous dit que c’est un peu tard… mais elle arrive tout de même. Elle coûte le prix de Gstaad, bien sûr, mais elle est bien méritée !

Puis, l’imprévu : une piqûre de guêpe. Montée d’adrénaline, absence totale de kit pour réagir, erreur du débutant... Je sais comment mon corps réagit, et je n’ai ni aspivenin, ni antihistaminique. Heureusement, un Suisse bienveillant m’oriente, une pharmacie fournit une pommade à la cortisone, un restaurant offre de la glace. Le gonflement recule, l’inquiétude aussi.

Nota bene : l’endurance, c’est aussi anticiper les petites urgences !

On termine la journée dans un restaurant italien. Pas donné, on est à Gstaad après tout, mais solide, le seul vrai repas de la journée après un départ gourmand et quelques barres sur la route. Du bon carburant, au bon moment.

Une étape propre. Maîtrisée. L’endurance tranquille, celle qui construit sans user.

💡 Fibres lentes : le moteur de l’endurance prend le relais. Je raconte tout dans L'EPISODE 2

 


 

 

J3 : Gstaad → Spiez : le rôle du paysage dans l’endurance

Au départ de Gstaad, les jambes sont un peu lourdes. Une fatigue douce, familière : celle du deuxième jour de volume, quand le corps n’est plus tout à fait frais, mais déjà en train de devenir plus fort. Très vite pourtant, la machine retrouve son rythme. La cadence se pose, le souffle s’ancre, le regard se fixe vers l’avant. Ne rien brusquer. Simplement accompagner le retour au mouvement jusqu'à ce que le corps se rappelle comment avancer longtemps.

La route ondule à travers la campagne suisse, impeccablement entretenue. Pâturages verts, fermes de bois, vaches et chèvres en liberté, et ce son des cloches, régulier, presque hypnotique. Il a un effet étonnant : il apaise, il cadence, il donne envie de monter encore. Et justement, ça monte… puis ça descend… et ça recommence. Vallonné, vivant, dynamique. Un terrain parfait pour entrer dans une endurance active, qui sculpte autant les jambes que la patience.

Ici, tout semble “qualité suisse” : champs nets, chemins propres, produits locaux fièrement étiquetés. On sent une culture du soin, du respect du territoire, du travail bien fait. C’est paisible, ancré. On traverse un village en espérant une terrasse, boire un verre, mais rien. Ici, on n’est pas en France : le côté “bistrot spontané” n’existe pas vraiment. Alors on continue, au rythme des cloches et des montées.

Vers 13h, en bas d'une descente, une enseigne apparaît. Écrite en allemand. Je suis la seule à comprendre (mon avantage linguistique du jour). On s’arrête, évidemment. Assiette de jambon, légumes, un peu de pain. Simple, solide, parfait pour un cycliste ! J’ai tiré les leçons des frites : pas d’excès, pas de digestion plombée. Le moteur doit rester léger.

Sur la route, on prend deux Hyprosport effort dans 500 ml d’eau chacun. Toujours cette logique d’hydratation combinée à l’apport progressif, pour soutenir sans surcharger. Le geste alimentaire devient aussi automatique que le geste de pédaler.

Puis, au détour d’un virage, le lac de Thoune surgit. Immense, calme, qui attrape la lumière. Les épaules se relâchent, le souffle s’allonge. C’est ce phénomène fascinant de l’endurance longue : parfois, la vue seule fait récupération. Le mental se recharge, et le corps suit.

Spiez accueille comme un souffle final. Station lacustre, élégante, douce. L’eau est fraîche, trop pour un Français ? Oui, un peu. Mais on se baigne quand même, par principe, par curiosité, par respect du lieu. Une immersion rapide, vivifiante, presque symbolique.

Puis, glace et repas complet pour recharger glycogène et protéines.

Une journée maîtrisée avec une endurance construite non par force, mais par régularité. Portée par les paysages, entretenue par les gestes, nourrie par la simplicité.

💡 Le rôle du paysage dans l’endurance : physiologie & neurosciences. Je raconte tout dans L'EPISODE 3.

 


 

J4: Spiez → Interlaken → Giswil : La force de ne pas forcer

Au départ, on sait que la journée sera dense. Le dénivelé est conséquent, les montées longues, les descentes techniques. C’est le genre d’étape où l’on ne gagne rien en allant vite, mais où l’on perd beaucoup si l’on s'entête. Le corps répond, mais il n’est plus dans la fraîcheur des premiers jours : il avance parce qu’il sait faire, pas parce qu’il y a encore une grande réserve en attente.

La route jusqu’à Interlaken est splendide. Lac turquoise, montagnes immenses, cette sensation d’entrer dans un décor presque trop grand pour nous. Mais sous cette beauté, la fatigue est là. Silencieuse, installée, honnête. Elle ne dit pas “arrête”, elle dit “sois attentive”.

À Interlaken, les nuages arrivent, puis l’air change. Un signe précoce, mais clair : la pluie arrive, peut-être durable. Je suis fatiguée. Le corps n’appelle pas l’abandon, mais il ne promet rien sous l’orage.

Et je choisis : ce sera le train jusqu’à Giswil. Décision simple, mais pas anodine. Dans l’endurance, l’égo trouve toujours quelque chose à dire. Aujourd’hui, il reste silencieux. Ce n’est pas renoncer, c’est gérer sur la durée. Mon compagnon poursuit. Il roulera. Moi, je récupère. Deux chemins, un même objectif : tenir la suite.

Giswil apparaît comme une parenthèse alpine. Petit village isolé, calme presque absolu. L’hôtel est fermé, journée de repos apparemment... Sur la porte, une note en allemand : “allez à l’épicerie en face”. On y va.

On nous donne une clé, un sourire, et la consigne de nous débrouiller. Tout est ouvert, tout est prêt. Un rappel suisse : ici, la confiance est la règle. La chambre est simple, propre, silencieuse. Je prends possession du lieu, j’attends l’arrivée de mon compagnon. Il arrive sous quelques gouttes. Il me dit que l’étape était extrêmement dure, même pour lui.

Je souris intérieurement. J’ai bien fait. L’endurance, ce n’est pas “tenir coûte que coûte”, c’est savoir quand tenir et comment continuer.

Reste la question du dîner. Pas de chance encore, le restaurant de l’hôtel est fermé pour la journée. Pour couronner le tout, le restaurant voisin annonce un orage imminent : pas de terrasse, pas de retour possible à vélo. Et ici, sans voiture, les distances ne pardonnent pas.

Il est 17h50. L’épicerie ferme. On improvise : deux boîtes de sardines, un fromage suisse, tomates, concombre, fruits, un peu de pain. Simplicité absolue. Quelques minutes plus tard, l’orage éclate : violent, dense, sans appel. Nous mangeons sur le balcon, dans un décor laiteux, pluie épaisse comme un rideau.

Une étape étrange, brute, utile. Pas un sommet, pas un exploit, mais un apprentissage essentiel : sur plusieurs jours, la performance n’est pas dans la poussée… elle est dans la capacité à choisir, à s’adapter, à rester dans la course sans s’abîmer !

💡Endurance longue : la performance, c’est aussi savoir lever le pied au bon moment. Je raconte tout dans L'EPISODE 4.

 


 

J5: Giswil → Lucerne (train) : récupération stratégique et intégration de l’effort

Le réveil à Giswil se fait sous une pluie dense. Une courte éclaircie laisse penser que la situation pourrait s’améliorer, mais l’averse reprend. Même avec l’équipement adapté, la perspective d’une étape complète sous ces conditions ne me semble ni utile, ni constructive. Je ne suis pas épuisée, mais je sens clairement que ce type de journée déplacerait l’équilibre : ce ne serait pas une stimulation positive, ce serait une dépense inutile.

Je décide donc de prendre le train pour Lucerne. Ce choix n’a rien d’un renoncement. Au contraire, il s’inscrit dans une logique simple mais essentielle : dans l’endurance sur plusieurs jours, la performance ne se mesure pas uniquement à l’addition de kilomètres. Elle se mesure aussi à la capacité à préserver les ressources, à ajuster la charge, à comprendre quand insister serait contre-productif. L’objectif n’est pas de tout faire coûte que coûte, mais de rester en état de continuer.

Arrivée à Lucerne, il fait assez beau. Nous roulons donc localement, environ trois heures, rythme bas, geste fluide, aucune contrainte. Ce type d’activité entretient la circulation musculaire et articulaire sans générer de stress supplémentaire. C’est du vélo, mais en mode entretien, pas en mode charge. Du travail léger, utile pour entretenir les sensations et favoriser la circulation, sans puiser dans les réserves.

Dans un défi d’endurance, certaines journées sont construites pour avancer, d’autres pour récupérer ; celles-ci comptent tout autant, à condition d’être assumées et utilisées correctement.

Aujourd’hui, il ne s’agissait pas de “faire plus”. Il s’agissait de laisser le corps intégrer, pour être capable d’aller plus loin demain.

💡Récupération active : quand le corps progresse en ralentissant. Je raconte tout dans L'EPISODE 5.

 


 

 

Ce que ce voyage m’a appris

Ce voyage m’a appris que l’endurance n’est pas qu’une histoire de kilomètres ou de mètres de dénivelé. C’est un dialogue entre sensations, énergie et patience. Savoir ralentir quand c’est nécessaire, écouter les signaux internes, savourer les moments de facilité autant que les portions plus intenses : voilà ce qui crée une progression qui ne casse rien, mais construit tout.

Ce n’était pas une course. C’était une exploration physiologique et mentale. Une démonstration que le plaisir n’est pas un bonus, mais un moteur de performance et qu’au final, il suffit parfois de continuer à pédaler, sereinement, pour revenir à l’essentiel : un corps qui avance, un esprit qui suit, et un paysage qui vous transforme.