Épisode 2 | de Gruyères à Gstaad
Phase de stabilisation : quand l’effort devient économie

 

Quitter Gruyères au matin, c’est reprendre la route avec un corps déjà lancé. Petit-déjeuner vers 8h, dans ce calme typique des vallées suisses. Pain, café, et comme un fil rouge culturel encore un peu de fromage. On ne se presse pas : le corps mange, digère, s’éveille doucement. L’air est frais, la lumière claire. Le départ se fait vers 9h30, sans contrainte, sans précipitation.

 

Vignes au-dessus du lac, montée progressive

 

 

Et dès les premiers tours de pédale, pas d’ajustement nécessaire. La respiration se cale d’elle-même, profonde mais tranquille. Le cœur trouve sa fréquence minimale utile. Les jambes tournent avec cette fluidité rare où l’on sent que la mécanique interne est prête, huilée. Ce n’est pas un moment que l’on force, c’est un moment que l’on accueille.

C’est l’un des cadeaux de l’endurance quand elle s’installe vraiment : la capacité à habiter l’effort sans effort apparent.

On avance parce que le corps sait faire, parce qu’on lui a donné des heures, des montées, des souffles pour apprendre. Ici, rien à enclencher : seulement maintenir ce qui existe déjà.

Dans cette phase, ce sont les fibres musculaires lentes qui prennent les commandes. Ce sont les petites travailleuses du corps, celles qui ne s’enflamment pas, qui ne cherchent pas l’explosivité, mais la constance. Elles fonctionnent un peu comme un moteur diesel très efficace : pas faites pour sprinter, mais capables de tourner des heures, sans rupture, sans gaspillage.

Ce qui se passe physiologiquement

D’un point de vue physiologique, ces fibres ont une particularité : elles utilisent beaucoup d’oxygène pour transformer nos réserves (sucre et surtout graisses) en énergie. Elles contiennent plus de mitochondries, ces petites centrales énergétiques des cellules. Plus de vaisseaux aussi, pour apporter l’oxygène. Et elles produisent peu de lactate, car elles préfèrent la combustion lente, propre, durable.

Elles brûlent le carburant avec parcimonie, recyclent ce qu’elles utilisent, économisent chaque mouvement. Pas de gestes brusques, pas de tensions inutiles. Leur force, ce n’est pas la puissance : c’est le rendement.

Et pendant qu’elles travaillent, le système nerveux s’apaise lui aussi. Moins de contrôle volontaire, plus d'automatisme. Les muscles inutiles se relâchent, la respiration descend dans le ventre, la posture se pose. C’est le moment où l’on sent que le mouvement n’est plus un effort, mais un état. 

Ce sont ces fibres lentes qui permettent les journées au long cours, les cols sans rupture, la capacité à durer plutôt qu’à forcer.

 

Arrivée à Gstaad

Ainsi, la route serpente entre chalets, prairies, cloches de vaches. On avance sans penser à avancer. Les kilomètres défilent presque discrètement, portés par cette stabilité profonde. Ce type de journée ne construit pas la force brute, il construit la capacité à durer.

Et puis, Gstaad : chalets impeccables, façades signées, luxe discret mais omniprésent. Nous logeons à l’écart, dans un village calme. Une pause, une douche, puis on remonte sur le vélo pour rejoindre le centre.

Il est 18h, les habitants dînent déjà. Nous demandons une glace. “Ce n’est plus vraiment l’heure”, nous dit-on, mais on nous la sert quand même. Après la route, elle a le goût simple d’une récompense méritée.

Puis l’imprévu : une piqûre de guêpe. Pas de kit, pas d’antihistaminique. Petite panique, rappel que l’endurance, c’est aussi l’aléa du vivant. Heureusement, un habitant aide, une pharmacie aussi, et la glace d’un restaurant fait le reste. L’inflammation recule, la tension tombe. Leçon du jour : anticiper n’est pas un luxe.

On finit la journée dans un resto italien. Hydratation, repos, digestion tranquille. 

 

Deuxième étape terminée. La satisfaction subtile d’un corps qui avance parce qu’on le respecte, pas parce qu’on le contraint.

 

La suite dans l’épisode 3 : Gstaad → Spiez : endurance soutenue et paysages grandioses